“Un portrait en particulier me plaisait plus que les autres, celui de la personne qui me racontait l’histoire de chaque photographie présente dans l’album. Elle était d’une beauté inégalable, tournée d’un quart de profil. Ce petit ovale sépia enferme un jeune âge, à tout jamais. Une délicatesse que je ne pourrais décrire. Mon arrière-grand-mère. Des coins en plastique jaunis.”

 

Des cheveux en bataille. Un regard triste. Une plage de sable fin. Un verre vide. Une robe bien repassée. Un coin de lit. Les gens qui passent. Je ne suis que ce que je photographie. Ou bien peut-être ce que je ne photographie pas. Ce que j’oublie de regarder et ce qui ne m’intéresse pas vraiment.

Il y a toutes les raisons de photographier.

Spontanéité. Utiliser un appareil photographique permet de capturer la vie éphémère, de la faire exister pour toujours, de compléter notre mémoire qui nous fait défaut. Le souvenir reste, avec quelques traces d’usure pourtant, l’embellisant de l’empreinte du temps qui s’écoule. Je suis inspirée par tout ce qui m’entoure. Les autres, leur façon de vivre. Leurs envies, mais rarement les miennes. J’aime me mettre à la place des autres. La mer, les fleurs. Ma mère, ses fleurs. Il y a de la beauté dans toutes choses. Je ne la vois pas toujours, mais j’essaie très fort.

Mise en scène. “Tourne le visage vers la lumière. Lève le menton. Remonte ton pantalon. Ne bouge plus. C’est bon. On recommence.” Avoir l’air grave ou rechercher un sourire. C’est mon moyen d’expression privilégié. Je peux tout inventer, tout dire.

La photographie, c’est tous les jours, à tous les instants. Je la travaille, je l’imagine, je rate, je recommence. Parfois, je ne comprends pas pourquoi, mais j’y pense. Ce n’est pas voulu, ça arrive comme ça. Parfois, je n’ai plus envie. Pas d’idée. Pas le moral. Je ne fais rien de bon. Et puis un jour, ça me plait. C’est parfait, j’aime ça. C’est pas propre et j’aime aussi.

 

Il y a des journées où je fais n’importe quoi.

 

“Je me lève, la mine bougonne d’avoir été réveillée par la sonnerie de mon téléphone. Ma mère me demandait si j’avais bien reçu sa lettre. J’attrape le filtre à café et le sachet contenant le café moulu. Je prépare ma boisson puis allume la cafetière. Je me rends compte que j’oublie l’eau. J’attends, mais plutôt impatiemment, que la cafetière se remplisse. C’est mon vice, l’impatience. Je verse le café chaud dans ma tasse. Je la remplis. Je verse le café chaud dans une boîte en plastique renfermant une cartouche de pellicule. Elle contient elle-même un film. Je la remplis.
Demandez-moi si le café était bon.”